Peut-être issu d’une famille de sculpteurs, Gervais I Delabarre serait né dans la région du Mans, vers 1560-1570. Sa carrière fut particulièrement longue, la plus ancienne mention de ses travaux remontant à 1593 dans l’abbaye Saint-Serge d’Angers, alors que sa commande la plus récente, le décor de la chapelle des Jésuites de La Flèche, se situe en 1633 et 1634. Recommandé par l’abbé de Saint-Vincent du Mans comme “l’un des plus excellents architectes du royaume”, il a porté souvent loin de sa ville natale, où il avait son atelier, la réputation des sculpteurs manceaux qui ont connu un véritable âge d’or dans la première moitié du XVIIe siècle.

En 1607, l’artiste était de nouveau signalé à Angers, où il avait succédé au sculpteur parisien Pierre I Biard pour l’exécution d’une statue en marbre, le Priant de Donadieu de Puycharic, le gouverneur de cette ville : c’est la seule œuvre connue du sculpteur qui ne soit pas en terre.

Entre 1606 et 1613, il était occupé à divers travaux dans la cathédrale du Mans, fournissant des sculptures pour le jubé et le cloître notamment. C’est très probablement lui qui fut également chargé de l’exécution, en 1609, d’un groupe “grandeur nature” de la Mise au tombeau : de cette œuvre, détruite pendant la Révolution, il ne subsiste que le portrait de son donateur, le Buste du chanoine Primet.

Il s’en est suivi une période assez longue, entre 1615 et 1619, au cours de laquelle il a résidé à Poitiers pour y travailler au décor de l’abbaye Sainte-Croix dont les statues sont aujourd’hui disséminées dans plusieurs églises de la ville et de la région, et à celui de la chapelle des Jésuites, toujours en place dans le retable du maître-autel, quatre figures colossales des Évangélistes et un groupe de la Vierge de pitié flanqué d’un ange et de Marie-Madeleine. Sans doute l’artiste a-t-il exécuté dans cette ville, durant cette même période, d’autres œuvres comme en témoignerait le groupe très expressif du Pas de Dieu, dans l’église Sainte-Radegonde.

L’année de son départ à Poitiers, il avait reçu une autre commande, une Déploration pour l’église des Cordeliers du Mans — qui fut transférée, au XIXe siècle, en lieu et place de la Mise au tombeau de 1609. La durée de l’exécution de cette œuvre, qui ne fut achevée qu’en 1621, suggère que d’autres artistes ont dû participer à sa réalisation, parmi lesquels certainement Charles Hoyau, dont plusieurs auteurs avaient cru autrefois identifier la main.
Le nom de Dionise — Étienne, le frère de Matthieu ? — apparaît sur une des quittances de la commande, montrant que d’autres artistes avaient également, sans doute, collaboré à ces travaux. Ces circonstances attestent en tout cas l’importance de l’atelier de Delabarre, qui fonctionnait à l’égal d’une entreprise capable de traiter plusieurs commandes simultanées et habituée à solliciter le concours de plusieurs sculpteurs, membres attitrés de l’atelier ou artistes itinérants.

Les années 1620-1640 ont été marquées par une activité intense de l’artiste. Sa présence est signalée à l’abbaye de Beaumont-les-Tours, en 1619, où il fournissait une Adoration des Mages, qui correspond probablement au groupe conservé à Saint-Paterne-Racan (Indre-et-Loire), puis édifiait un retable et des sculptures (disparus) dans l’église du Puy-Notre-Dame (Maine-et-Loire). Il fut également appelé à l’abbaye de Fontevraud (Maine-et-Loire) où il exécutait le mausolée de Robert d’Arbrissel, dont il subsiste les clôtures, à Blois, en 1624, pour les sculptures (disparues) du maître-autel des Cordeliers. À la fin de cette période, il souscrivait plusieurs commandes conjointement avec son fils aîné, Gervais II, à Sainte-Anne d’Auray (Morbihan) vers 1625, où tous deux fournissaient plusieurs sculptures pour la chapelle du célèbre pèlerinage dont la construction avait été encouragée par Anne d’Autriche, puis à La Flèche en 1633 et 1634, dans la chapelle du collège des Jésuites, et enfin à Rennes en 1634, pour le décor du palais du parlement de Bretagne, et au Mans à une date indéterminée, dans l’abbaye Saint-Vincent…

Du décor du jubé de la cathédrale du Mans, détruit vers 1768 subsistent certaines sculptures : un Saint Jean et un Saint Matthieu, de même qu’un Roi et un Prophète de l’Ancien testament, autrefois adossés aux frontons du monument, témoignent de belles qualités des personnages qui expriment à la fois la puissance physique et une certaine préciosité.

Dans le Maine, d’autres œuvres peuvent être attribuées à l’artiste, ainsi la Vierge à l’Enfant de Notre-Dame du Parc, à Saint-Denis-d’Orques, qui provient probablement de l’ancienne Chartreuse d’Orques, ainsi qu’une autre Vierge à Guécélard : toutes deux évoquent fortement certaines sculptures poitevines de l’artiste. Dans l’Éducation de la Vierge de Parigné-l’Évêque, où Delabarre avait été appelé pour seconder son oncle, Matthieu Dionise, sainte Anne représentée assise, d’une manière peu habituelle, reprend un parti de composition qu’on retrouve sur un autre groupe conservé dans la nouvelle abbaye Sainte-Croix, près de Poitiers.
Si elles ne peuvent être expressément attribuées à Delabarre, d’autres sculptures du Maine attestent assurément son influence, ainsi les personnages d’un Calvaire dans l’église de Terrehault ou encore un très beau Saint Jean dans l’église de Courcelles-la-Forêt, dont la chevelure bouclée rappelle celle du Saint Jean du jubé.

Gervais I Delabarre est à l’origine d’une nombreuse lignée d’artistes, parmi laquelle ses fils, Gervais II et Louis, qui avaient collaboré à son propre atelier, ont mené une même carrière itinérante. Gervais II (1603-vers 1653) fut sollicité à Angers pour le couvent des Jacobins et l’abbaye du Ronceray, à Tours, pour l’abbatiale de Saint-Julien. Dans le collège des Jésuites de La Flèche, il avait reçu commande, en 1634, d’un groupe du Mariage de la Vierge, aujourd’hui conservé dans l’église Saint-Thomas de la ville. Cet ensemble témoigne d’une maîtrise expressive et d’un sens de la mise en scène hérités de Gervais I. Aux portes de La Flèche, la chapelle Notre-Dame des Vertus conserve une Vierge à l’Enfant qui provient également du collège et qui pourrait avoir été modelée par l’artiste. L’Adoration des bergers de Savigné-l’Évêque lui est également attribuée.

La présence de Louis Delabarre (1612-1655) est attestée au Mans, à La Flèche et à Angers puis en Bretagne, où il s’est éteint à Saint-Malo : il n’a malheureusement laissé aucune œuvre connue. Toutefois, il est possible qu’à Rouez, où le retable du maître-autel fut élevé vers 1641, les sculptures de l’église soient de sa main. Leur style évoque fortement la manière des Delabarre, bien qu’un certain nombre de détails s’opposent à leur attribution au père comme au fils aîné. Dans l’hypothèse où ces statues seraient son œuvre, il faudrait également lui attribuer les sculptures du maître-autel des Ursulines d’Angers, qui sont très voisines de l’ensemble de Rouez.

François Delabarre (1629-1685), le fils de Gervais II, s’était installé très tôt à Rennes peut-être dans le sillage de Louis dont la carrière s’était achevée dans cette province. La documentation fait état de ses nombreux travaux à Rennes, Sainte-Anne d’Auray, Beauport, Lamballe, Saint-Jean-du-Doigt… En 1662, il livrait plusieurs statues pour le maître-autel de La Gouesnière, près de Saint-Malo, parmi lesquelles un Saint Michel terrassant le démon.